Pour cet anniversaire spécial, je voudrais raconter l’aventure de notre équipe au cours de ces 10 incroyables années, faite de haut et de bas, de rencontres fantastiques et d’échecs misérables, d’espoirs déçus et de succès improbables. L’écriture de ces quelques lignes, me permet de partager mon expérience personnelle d’entrepreneur (je suis plutôt habituellement réservé sur le sujet), mais aussi et surtout de mettre en valeur l’équipe, les hommes et les femmes, qui ont fait Playtouch…
2009
Fort d’une belle expérience de 10 ans dans le jeu vidéo (Glu, Orange France, Creo, Microids), je décide de créer ma propre entreprise.
Le jeu mobile est déjà en plein boom avec des très belles perspectives de marché. Mes récents succès professionnels chez Glu et Orange m’incitent à me lancer en tant qu’entrepreneur et poursuivre mon rêve d’enfance d’être propriétaire d’un magasin de jouets (« une entreprise de jeux vidéo c’est presque pareil, non ?»).
Avec mes amis et futurs associés, Jérôme (ex-Orange) et Olivier (ex-Glu), nous réfléchissons à ce que nous pourrions apporter au marché en tant que start-up, tout en évitant une confrontation frontale avec les grands acteurs de jeux mobiles. Nous n’avons ni l’argent ni l’expérience pour financer un grand studio et rivaliser avec les grands éditeurs. Nous voulons être différents, avoir une approche et un positionnement originaux!
Jérôme avait déjà réalisé une étude sur les services de jeux pour gagner des prix et des cadeaux. Ce type de service est assez populaire en 2009 sur les PC, notamment en France. Cependant, ces offres n’existent pas pour les téléphones portables. Nous trouvons cela assez intéressant. Nous pensons également pouvoir nous appuyer sur notre réseau de distributeurs mobiles B2B2C (opérateurs télécoms, agrégateurs, médias …) pour nous aider à lancer ce service en France et à l’international.
Nous polissons l’idée pendant quelques mois, puis nous décidons finalement que nous allons aller de l’avant avec ce projet. Nous avons déjà le nom du service: JAXSPOT.
C’est à ce moment que je rencontre Bruno, mon futur et fidèle compagnon de voyage pour les 10 prochaines années. Bruno termine sa dernière année d’étudiant dans une école multimédia à Paris et recherche un stage. Un jeune « qui n’en veut », débrouillard et qui possède un ensemble de compétences rares parfait pour nos besoins (Je béni encore aujourd’hui cette rencontre, non seulement pour la personne fantastique qu’est Bruno et l’amitié qui en découlera, mais aussi pour toutes ses compétences professionnelles qui ont tant servi Playtouch).
Bruno rejoint donc l’aventure en tant que stagiaire, puis rapidement comme freelance. Mais Bruno aussi doué et gourmand soit-il, n’est pas un véritable développeur, et c’est une compétence qui nous manque encore cruellement fin 2009…
2010
Brainstorming entre associés, design du service, business model, stratégie de monétisation, prévisions de revenus… Nous progressons sur le concept mais nous n’avons toujours pas de développeurs pour nous accompagner. J’en ai rencontré mais je n’ai pas trouvé la bonne personne pour nous rejoindre, quelqu’un de compétent et motivé. De plus, il est difficile pour moi de faire le tri entre les bons et les mauvais développeurs. Je n’ai pas les compétences techniques pour juger. Je compte donc sur David, un ami de longue date, un développeur passionné et talentueux, vivant à Montréal. Il me fait part de ses commentaires sur les «candidats». Mais comme je le pressens, ses retours ne sont pas très encourageants sur les profils que je lui présente.
Pour ne pas faciliter notre recherche, en 2009, le marché de la téléphonie mobile est extrêmement fragmenté, les téléphones Java, les BlackBerry, les iPhones et les smartphones Android commencent à arriver sur le marché. Autant de mini-consoles de jeux différentes sur lesquelles nous devrons adapter Jaxspot et nos jeux pour toucher un maximum d’utilisateurs. Il est donc très difficile de trouver un CTO qualifié pour gérer le front-office et le back-office, avec de nombreuses technologies et languages informatiques différentes. Finalement, au bout de quelques mois, David me pose alors LA question qui va changer le destin de Playtouch: “Pourquoi n’essaies-tu pas de faire développer ce service de jeux en web mobile?”.
«Web mobile»… «Web mobile»… «Html»… L’idée me trotte par la tête. J’en reparle avec David, Jérôme et Olivier et je regarde ce qui se fait sur cette techno. En fait, ce n’est pas stupide du tout étant donné que tous les appareils mobiles sont ou auront bientôt un navigateur Web préinstallé. Nous commençons à voir des choses se passer sur le Web mobile et cela semble très prometteur. Le principal avantage concurrentiel du html est que la même ligne de code devrait fonctionner de la même manière sur n’importe quel appareil Web. Nous développerons une fois en html et notre projet devrait fonctionner partout. En fait, c’est une idée géniale! “1 code pour les gouverner tous” (je rigole encore aujourd’hui en repensant à cet optimisme insouciant et aveugle).
David commence à vraiment aimer le projet et décide finalement de rejoindre l’équipe fondatrice. David en tant que CTO, Bruno en tant que couteau suisse, moi-même du côté Management / Business / Marketing et Olivier et Jérôme en tant que conseillers (non opérationnels).
Je crée officiellement PLAYTOUCH le 5 novembre 2010, avec 36K € de capital initial.
Je suis un grand fan et très fier du nom que nous avons choisi: PLAYTOUCH! C’est un nom avec une vraie résonance, un air de “déjà vu” qui semble familier et qui plait à tout le monde. Ce nom est également très représentatif de notre entreprise. J’adore. Merci Jérôme!
1er logo Playtouch
Bruno et moi sommes basés à Paris, tandis que David installe un petit studio à Montréal avec Mathieu et Clément, 2 autres développeurs. Le développement de Jaxspot peut enfin démarrer. Nous finissons par rencontrer Nicolas, un développeur web qui développera nos 12 premiers jeux en JavaScript (solitaire, sudoku, mahjong, etc.) avec l’aide de Philippe, notre premier graphiste. Super, nous sommes enfin une vraie équipe de 7 employés à temps plein!
En décembre 2010, je finalise notre première petite levée de fonds de 100K € en «love money» (argent de la famille, des amis et des proches). Je commence aussi déjà à travailler sur notre prochain tour de table. Nous avons beaucoup d’ambition, une équipe brillante et un Business Plan solide avec une prévision de chiffre d’affaires de plusieurs millions d’euros sur les 3 prochaines années. Nous avons une technologie innovante et un produit très original avec un modèle de revenus basé sur de l’abonnement. Cerise sur le gâteau, nous signons en novembre 2010 un premier contrat de distribution de Jaxspot avec Bouygues Telecom, l’un des 3 opérateurs de télécommunications mobiles en France.
De quoi séduire des investisseurs sans aucun doute… Tout se passe à merveille !
2011
Comme il s’agit de ma première entreprise, j’essaye d’apprendre le plus possible de structures d’accompagnement, d’autres entrepreneurs et de rencontres sur les salons. En 2011, Gilles, un mentor d’une structure d’incubation qui nous accompagne me dit: «Stéphane, tu sais, il faut faire attention. Créer une entreprise, un nouveau produit, n’est pas toujours facile. Mon conseil: Planifiez 3 fois plus de temps que prévu pour développer le produit, 3 fois plus d’argent pour le financer et anticiper 3 fois moins de revenus». Eh bien, Gilles avait raison, c’est exactement cela … mais en pire!
En effet, depuis la levée de 100K€, nous développons tête dans le guidon. Nous progressons, mais je demande trop souvent des changements sur le produit (design, fonctionnalités, nouvelles briques techniques, etc.), ce qui ralentit vraiment les développeurs. J’en veux trop, je demande trop de choses différentes et Jaxspot devient trop complexe: un portail web, des jeux, des cadeaux, des défis entre amis, un chat en temps réel, etc. Disponible sur PC, tablette et mobile. Sur le papier, c’est super, mais quel défi technique !!! Je ne le réalise pas encore mais je me disperse et je disperse l’équipe aussi.
Alors que nous pensions avoir un avantage avec le html, nous sommes finalement confrontés à la fragmentation des navigateurs mobiles (le web html5 standardisé annoncé par le consortium W3C en 2011 n’est pas encore là). Nous devons ajuster nos lignes de code pour être compatibles avec les principaux navigateurs mobiles, et nous perdons encore un temps précieux.
Au niveau des équipes, après l’euphorie du départ, on se rend compte que la distance entre le Canada et la France n’est pas facile à gérer. Avec le décalage horaire et les chats Skype, tout prend plus de temps. Playtouch manque d’une vraie culture d’entreprise, d’un effet de groupe. Difficile de créer cet esprit, cet élan, à 6000 km les uns des autres. J’adorerais que nous soyons tous ensemble mais ce n’est pas possible et nous devons malheureusement nous débrouiller comme cela.
Au quatrième trimestre 2011, nous remportons un beau concours de start-up qui nous permet d’être héberger gratuitement pendant 2 ans dans les bureaux de JCDecaux à Neuilly près de Paris … Vous verrez à quel point cela sera important dans la suite de l’aventure Playtouch.
Sur le plan financier, cela commence à se tendre fin 2011 car les investisseurs et les business angels ne comprennent toujours rien à notre produit. Je multiplie les rencontres en France et en Europe. Je suis convaincu que notre produit est excellent et a un grand potentiel, mais je me heurte à un mur. Il faut dire que la culture du financement des jeux vidéo en France est quasi inexistante. On me dit:
– “Je ne comprends pas quelle est la différence entre vous et Ubisoft?”
– “Les jeux vidéo sont pour les enfants et cela rend stupide”.
– “De toute façon, un service à l’abonnement ne fonctionne pas, c’est nul. Regardez Deezer et Spotify, ça ne marche pas, pas d’avenir …”
J’en passe et des meilleurs.
2012
Seul le groupe de Business Angel “Investessor” propose d’investir dans Playtouch, mais je me rends compte que nous ne sommes probablement pas prêts à faire rentrer des business angels qui seront très exigeants (ce qui est d’ailleurs tout à fait légitime, comprenez-moi bien). Je pense que cela risque de nous ralentir encore plus. Je décide finalement de ne poursuivre avec eux (Ils finiront par investir dans Voodoo quelques mois plus tard. Félicitations à eux et à Alain en particulier. Ils avaient vraiment du cran !).
La trésorerie de Playtouch diminue chaque mois et j’ai vraiment besoin de trouver une solution rapidement. Je commence à parler à mes amis, à ma famille et je me rends compte que beaucoup de personnes me font confiance et seraient prêts à investir dans notre prochain tour. Intéressant!
Je décide donc d’élargir ma recherche à quelques personnes de confiance avec lesquelles j’ai déjà travaillé professionnellement, et là je fais un rendez-vous décisif pour Playtouch. Je connais Guillaume, Julien et Jonathan depuis 6 ans car j’étais l’un de leurs clients. Je ne savais pas en revanche qu’ils avaient si bien réussi dans l’industrie du jeu vidéo. Ils sont en effet très “low profile”, investissent quelques tickets ici et là et me proposent d’investir 150K € dans Playtouch (moi qui était venu les voir en espérant un investissement de 5K€ …).
Génial!!! Avec cette somme, la «love money» en plus, et Bruno et moi qui mettons aussi de l’argent sur la table, nous parvenons à lever 300K€ au premier trimestre 2012. Ouf! Il était temps car nous brûlons maintenant environ 30K € par mois, et nous avions vraiment besoin de cet argent. Tout se passe plutôt bien, malgré le retard. Vraiment bien. Ça va le faire, c’est sûr!
Mais en réalité, sans nous en rendre compte, nous approchons rapidement du précipice…
Nous parvenons enfin à sortir une première version Beta de Jaxspot en juin 2012, avec un retard d’un an par rapport au plan initial.
C’est loin d’être parfait mais ça marche. Enfin, cela fonctionne techniquement, ce qui est déjà un véritable exploit compte tenu des capacités du web mobile de l’époque. (Quand j’y repense, je peux vous dire que Jaxspot était une véritable prouesse technique).
Ça marche donc techniquement mais côté fun, Jaxspot n’est pas vraiment génial… Malheureusement, je ne m’en rends pas compte car je suis complètement obsédé par mes idées marketing et mon business plan. “C’est une un projet génial, il n’y a pas de concurrents et il n’y a aucune raison pour que cela ne marche pas…” En fait, il y a 10 000 raisons pour que cela ne marche pas. En particulier, le plaisir de jouer qui fait vraiment défaut dans Jaxspot, mais je n’y pense pas trop, je garde mes œillères et je continue à foncer tout droit dans le mur.
En 2012, notre positionnement produit est totalement opposé aux tendances du marché. C’est assez amusant de voir l’étonnement, voire la consternation, de l’industrie face à notre choix du Web pour développer des jeux mobiles. Tout le monde ne jure que par les iPhone et les applications, tandis que Playtouch fait du Web mobile. Tous les éditeurs essayent d’envoyer du trafic vers leurs jeux dans l’App Store d’Apple pour améliorer leur « ranking », tandis que Playtouch achète du trafic sur des applications pour rediriger les utilisateurs vers le site Web mobile de Jaxspot. Je lance en effet à cette période quelques campagnes d’acquisition d’utilisateurs, principalement avec Tapjoy, et cela fonctionne assez bien. Nous parvenons à générer des volumes vraiment significatifs à très faible coût. En moins de 4 mois, nous avons 1.5 million de visiteurs sur Jaxspot et 200 000 joueurs inscrits.
De très beaux chiffres, à première vue, mais la réalité est beaucoup moins sexy: la rétention des joueurs est très mauvaise et la monétisation n’est pas bonne non plus.
On tourne et on retourne le sujet dans tous les sens mais sans trouver de solutions. Le constat est implacable : Jaxspot est un gros échec. Ce n’est tout simplement pas assez fun et c’est la raison pour laquelle les joueurs ne reviennent pas sur notre service. Cela devient très problématique au quatrième trimestre 2012 car il nous reste juste assez d’argent pour terminer l’année et je n’ai aucune idée de comment je pourrais convaincre à nouveaux des investisseurs avec des chiffres aussi mauvais.
Avec David, nous décidons de couper toutes les ressources. Seuls Bruno et moi continuons, en espérant un miracle, tandis que David reprend son activité de conseil, tout en assurant la maintenance technique de JAXSPOT pendant son temps libre. C’est sans aucun doute la période la plus difficile pour moi durant ces 10 premières années de Playtouch. Nous sommes au bout du rouleau. Playtouch n’a presque plus d’argent. J’ai personnellement 150K € de dette sur l’entreprise, le crédit de ma maison à rembourser en plus, et Ariane mon épouse, attend notre 3ème enfant d’ici la fin de l’année. Ça craint vraiment!
Toutes ces personnes qui nous ont fait confiance en investissant dans Playtouch… nos parents, nos amis, nos proches… allons-nous devoir leur dire que l’on s’est misérablement planté et que leur investissement est perdu ?
Bruno termine même l’année en mission dans une société pour faire de la pagination web… histoire de gratter 2000€. Nous touchons vraiment le fond…
2013
En janvier 2013, Bruno est de retour de sa mission où il a failli se suicider 3 fois par jour tellement il s’ennuyait. Il est heureux d’être de nouveau ici avec moi, même si notre situation est toujours aussi précaire. Cependant, l’enthousiasme de Bruno est contagieux et notre situation désespérée nous oblige à être créatifs. Ce n’est pas facile, mais nous commençons à réfléchir et à réfléchir encore davantage …
Notre seule source de revenus provient alors d’un contrat que nous avons signé en septembre 2012 avec Digital Virgo Entertainment (DVE). Pour 1250 € par mois, DVE peut utiliser nos 12 mini-jeux Jaxspot sur son portail de jeux mobiles. Ce n’est pas beaucoup, mais en réalité ô combien important pour l’avenir de Playtouch. En décembre, nous avions également signé une licence d’un an (4000 €) avec Booster Media (désormais CoolGames) pour exploiter ces mêmes 12 mini-jeux (encore une fois sans utiliser le service Jaxspot).
On finit par se dire que ces 12 mini-jeux disponibles chez DVE et Booster Media, on pourrait aussi essayer de les distribuer sur Google Play juste pour voir… Ok, c’est un magasin d’applications, mais nous savons que nous pouvons techniquement encapsuler nos jeux HTML en tant qu’applications, donc c’est possible.
Nos jeux par contre ne sont clairement pas assez bons pour espérer les vendre, et nous n’avons pas les compétences techniques pour intégrer des achats in-app. (mais personne ne dépenserait non plus son argent en micro-transactions dans nos jeux).
Nous décidons donc tout simplement de placer des publicités entre les parties. Une fois de plus, au début de 2013, nous sommes totalement en décalage avec le marché des jeux mobiles car le modèle de revenus n’est absolument pas axé sur les publicités. Le marché parle de premium et de freemium, mais la “publicité dans le jeu” n’est pas encore populaire, voir même fortement déconseillée pour ne pas nuire à la qualité des jeux.
David s’occupe d’encapsuler nos jeux HTML dans des applications. Nous utilisons également les compétences de Bruno pour intégrer Adsense (le réseau publicitaire de Google) car c’est le seul réseau publicitaire Web dont nous savons qu’il fonctionne pour le mobile (Bruno n’est toujours pas développeur, mais il est encore une fois précieux).
Fin janvier 2013, nous lançons notre premier jeu sur le Google Play Store et nous générons un tout petit revenu de 120€ grâce aux publicités.
«… Et si on lançait les 11 autres jeux pour voir si on fait 11 fois plus de revenus?»… 1 500€ par mois dans notre situation actuelle, c’est toujours mieux que rien.
A partir de février, nous commençons à livrer 1 nouveau jeu chaque semaine sur Google Play. En février nous atteignons 2 200€ de chiffre d’affaires, en mars 6 200€, en avril 9 000€… «Waouh… On a touché quelque chose du doigt là ».
En fait, sans le savoir, lorsque Digital Virgo Entertainment nous a demandé quelques mois plus tôt de pouvoir utiliser les jeux indépendamment de Jaxspot, ils ont contribué au futur pivot de Playtouch. DVE restera d’ailleurs le tout premier client business de Playtouch, et 8 ans plus tard, nous sommes toujours partenaires. Merci DVE de nous avoir fait confiance et d’être toujours à nos côtés !!!
Avec quelques jeux très simples, nous parvenons à avoir pas mal d’audience naturelle sur le Google Play Store (sans rien payer donc). De plus, nous monétisons très bien ces joueurs avec les publicités d’Adsense. C’est super simple en fait. Il suffirait donc d’avoir plus de trafic pour générer plus de revenus. Et pour avoir plus de trafic, il nous faudrait plus de jeux tout simplement. On souhaite cependant rester sur une technologie html5 car on a réussi à convaincre DVE et Booster Media, et on commence à voir poindre d’autres opportunités. Et puis le html5 ça marche partout et pas que sur les stores en fait…
Nous avons rapidement besoin d’un nouveau développeur de jeux, de préférence un stagiaire peu coûteux pour commencer. Bruno, brandit à nouveau sa baguette magique et nous ramène Tibo, un de ses amis, un profil de chef de projet, mais en fait un vrai développeur. Il est très humble et a une approche très pragmatique. Nous lui faisons part de notre ambition de créer 100 jeux le plus rapidement possible. Tibo nous livre alors sa vision:
– “si nous voulons faire des tonnes de jeux, nous avons besoin d’un moteur de jeu html5 pour faciliter et accélérer les développements”. Son choix se portera sur CONSTRUCT 2, un excellent moteur de jeu html5 que nous utilisons encore en 2020.
– «Si on veut faire des tonnes de jeux, il faut aussi développer une shell», c’est-à-dire un tronc commun réutilisable pour tous les jeux pour ne pas avoir à tout refaire «from scratch» à chaque fois. (La shell de Tibo deviendra au fur et à mesure l’une des ressources les plus importantes de Playtouch. Elle nous fera gagner un temps précieux sur tous nos développements de jeux).
Nous décidons d’embaucher 2 graphistes comme stagiaires et Tibo commence alors le développement du premier jeu utilisant construct2: ALIEN KAMIKAZE. Le résultat est bluffant par rapport à nos précédents jeux. Ça bouge, il y a des animations, ça ressemble à un vrai petit jeu et c’est un jeu HTML5.
Alien Kamikaze
Avec ces chiffres encourageants et ce premier jeu « next gen », il me faut trouver du financement pour essayer d’accélérer la production. Je propose à Jonathan, Guillaume et Julien de remettre au pot avec un objectif de faire 100 jeux avec ce nouveau modèle de revenus publicitaires. Aussi incroyable que cela puisse paraître, ils continuent à nous faire confiance et sont ok pour investir à nouveau. J’ajoute mes dernières économies dans ce tour, quelques actionnaires aussi remettent un ticket. J’essaie également de convaincre quelques structures d’investissements, mais je me fais encore envoyer dans les roses : « mais monsieur Hervé, vous êtes complétement débile, c’est impossible de développer 100 jeux. Vous avez vu ça ou ? Vous êtes ridicule ».
Je ne cherche pas à pousser la recherche plus loin. Nous allons nous contenter de 130K€ pour ce tour de table et nous débrouiller avec (Cela sera sans aucun doute les 130K€ les mieux dépensés « ever » chez Playtouch).
De mon côté j’y crois comme jamais car les chiffres sont là pour prouver que ce modèle de revenus à la publicité peut fonctionner. Maintenant il s’agit de bien exécuter le plan de production.
La dynamique de Playtouch va alors s’accélérer fin 2013. Digital Virgo Entertainment aime bien nos nouveaux petits jeux HTML5 et nous signons un nouveau contrat avec eux qui nous permet d’assurer un revenu récurrent mensuel plus conséquent. Nous signons également quelques autres concurrents de DVE ce qui nous rassure dans notre choix de développer en html5.
Les nouveaux jeux sur les appstores (Apple et Google) ne sont en revanche pas aussi performants que les précédents. Difficile de savoir pourquoi nous ne performons plus autant sur Google Play mais ce n’est pas trop grave car nos revenus grimpent sur d’autres canaux de distribution qui cherchent désormais des jeux HTML5 (y8, spil, kik messenger, facebook, chrome webstore..). Et puis je suis très content que nos revenus proviennent de plusieurs sources car notre risque est ainsi réparti entre plusieurs partenaires.
2014
Comme prévu dans les objectifs de notre dernière levée de fonds, nous décidons d’accélérer en recrutant une petite armée de stagiaire pour développer un maximum de jeux: des développeurs, des graphistes, game designer, sound designer… En alternance, à temps plein, mi-temps… tout est bon pour faire grossir l’équipe et accélérer rapidement. Ce qui est génial en France c’est qu’il est possible de trouver des stagiaires de grande qualité et nous mettons alors en place un process de recrutement très simple :
– Pour les graphistes, un simple test avec un crayon à papier, une feuille blanche et une gomme. « Dessines moi une tortue, une voiture, et une petite maison en perspective. Tu as 30 minutes ». L’important pour nous est de « détecter » des talents. Si le candidat a du talent en illustration, alors nous allons pouvoir l’aider à progresser dans la digitalisation de son travail (photoshop, colorisation numérique, animations des illustrations…)
– Pour les développeurs, Tibo cherche à savoir en entretien si le candidat a la bonne façon de raisonner, « d’ouvrir les bonnes portes », qui s’appliquera bien à notre moteur de jeux et à nos méthodes de travail. Pour cela, avant l’entretien il demande de venir avec un mini projet réalisé avec construct 2.
– Enfin on essaye de juger l’attitude du candidat. On ne cherche pas forcément les plus doués, ni les plus gros CV, mais vraiment des personnes qui ont une belle attitude, qui aiment ce qu’elles font, qui aiment partager en équipe, qui souhaitent progresser, qui aiment être à l’écoute. Pour nous, ceux qui ont la bonne attitude vont forcément apporter énormément à Playtouch, bien plus qu’un pur talent qui n’aurait pas le bon état d’esprit. Quand on a la bonne attitude, tout le reste suit, et nous attachons beaucoup, beaucoup, beaucoup d’importance à cela.
L’équipe grossit sensiblement très rapidement et Bruno et Tibo assurent la gestion de toutes ces ressources de main de maître. Ils arrivent à atteindre des objectifs de production incroyables. Chaque semaine 1 binôme composé d’un développeur et d’un graphiste réalise un mini-jeu de A à Z. Ils commencent le lundi matin et doivent livrer le jeu le vendredi après-midi. C’est intense, pas toujours très beau, pas toujours très fun, mais la plupart des jeux sont quand même sympas. Pour l’équipe, et pour les stagiaires plus particulièrement, ce qui est hyper intéressant c’est de pouvoir travailler sur plein de mini-projets différents plutôt que de se focaliser sur 1 seul jeu pendant leur stage de 6 mois.
L’équipe Playtouch à Paris
Playtouch sort alors des jeux comme des petits pains ; 4 à 5 jeux par semaine, 20 à 25 jeux par mois… Il y en a pour tous les goûts : Solitaire, Doner Kebab, Poney dress up, Stickman Fighter, The Wisp… certains sont des gros flops, d’autres dépasseront les 10 millions de téléchargements… En moins d’1 an nous dépassons les 100 jeux (…«mais monsieur Hervé, vous êtes complétement débile, c’est impossible de développer 100 jeux. Vous avez vu ça ou ? Vous êtes ridicule ».)…
2014, nous avons signé quelques contrats supplémentaires ces derniers mois. Les revenus ne sont pas énormes mais ils contribuent à assurer notre survie. Nous commençons à proposer proposons a certain stagiaire en fin d’étude de continuer l’aventure avec nous en tant que freelance. La plupart acceptent ; «cela ne doit donc finalement pas être si déplaisant de travailler chez Playtouch ».
Ces freelances sont vraiment une bonne nouvelle pour moi, un bon signe de l’état d’esprit général, et une belle opportunité pour Playtouch de capitaliser sur des ressources sur le plus long terme. Nous montons doucement mais clairement en compétence.
Malgré le nombre croissant de nos jeux, nos revenus peinent à vraiment décoller et notre croissance ne se fait pas via les appstores comme nous l’avions imaginé, mais plutôt grâce à de nouveaux partenaires HTML5. Je me réjouis donc une fois de plus d’avoir choisi le HTML5 pour nos jeux, car cela nous offre cette ubiquité de saisir toute opportunité sur n’importe quelle plateforme, appareil ou partenaire. De plus, les normes Web HTML5 sont désormais de plus en plus suivies par les navigateurs internet et rendent le développement de nos jeux bien plus simple.
Début 2014, à l’occasion d’un déplacement à Singapour, je rencontre Gonzague de Gameloft que je connais depuis Ludiwap (le premier nom de Gameloft en 2000). Nous prenons un café et je lui montre ce que nous faisons chez Playtouch, et notre modèle de revenus avec des publicités. Gonzague trouve notre approche très intéressante et en moins d’1 moins nous signons 1 contrat de partenariat. Gameloft travaille beaucoup avec les constructeurs de mobiles pour embarquer leurs jeux dans les mobiles avant même que ces derniers ne soient vendus. Hors ces jeux prennent de la mémoire, nécessitent des tests de la part du constructeur, etc… Autant d’inconvénients qui peuvent être évité avec Playtouch en embarquant un simple icone avec un lien web vers notre service de jeux en ligne. Gameloft commence alors à nous envoyer des tonnes de joueurs sur notre service en marque blanche qui propose plus de 100 jeux HTML5 aux joueurs.
Il aura fallu que je fasse 10.000Km pour signer un partenariat d’envergure avec une société qui est en fait à quelques minutes en métro de notre nouveau bureau…
Le nouveau contrat avec Gameloft, commence à faire décoller notre CA. Le partage de revenu n’est pas très avantageux pour Playtouch mais le volume est là donc nous sommes contents et cela nous donne un peu de marge en trésorerie et nous permet de nous poser un peu pour envisager la stratégie pour la suite de l’aventure.
Nous avons toujours plusieurs stagiaires mais nous avons surtout désormais 6 freelances à temps plein. Et cela me pose un souci, car en France, il n’est pas possible d’avoir des freelances à temps plein trop longtemps car il y a un risque que l’administration du travail requalifie ces contrats en «salariés», ce qui nous obligerait à payer des charges salariales. Hors nous ne sommes clairement pas encore capable de supporter ces coûts sans mettre Playtouch de nouveau en grand danger.
J’envisage alors 2 solutions : soit faire une nouvelle levée de fonds pour financer ce surcoût de charges salariales, soit trouver une solution pour maintenir nos coûts actuels.
Je me dis que cela va être encore très compliqué de convaincre des investisseurs car je ne suis pas certain que notre modèle de faire des centaines de jeux avec des revenus publicitaires les excitent véritablement… Je réfléchie donc plutôt à la deuxième option, et là, ce n’est clairement pas possible en France de conserver notre structure de coûts actuelle sans avoir une épée de Damoclès au-dessus de notre tête. La solution serait de délocaliser toute l’équipe dans un pays où nous pourrions conserver des dépenses raisonnables. Je discute de cette possibilité avec Bruno et Tibo (je n’imagine pas monter une nouvelle structure ailleurs sans eux). Ils ne sont pas contre mais ils sont mariés et cela ne dépend pas que d’eux.
Je commence donc à me renseigner sur les pays dans lesquels nous pourrions installer. Un pays où nous pourrions développer nos compétences, recruter localement, tout en maintenant une qualité de vie agréable pour les salariés. Je retire d’emblée l’Amérique du nord et l’Europe (trop cher ou alors une différence trop minime qui ne justifierai pas autant de tracas).
Je me concentre davantage sur l’Asie mais c’est très compliqué : soit il est très difficile d’obtenir des visas pour des travailleurs étrangers, soit la barrière de la langue est un réel soucis car les locaux parlent assez mal anglais, soit l’actionnariat pose problème car il faut un associé local,… autant de problématiques qui ne poussent pas vraiment à faire le grand saut.
La Malaisie me semble être la seule option sérieuse pour Playtouch et c’est à ce moment-là que je commence à parler de ce projet à Eric, un web entrepreneur que j’avais rencontré lors de notre passage chez JCDecaux à Neuilly il y a 2 ans. Il s’est installé depuis 1 an à l’île Maurice et je lui demande s’il pense que cela pourrait être une option pour Playtouch. Il n’est pas très confiant sur la possibilité de recruter des profils localement mais en revanche il est très positif sur la qualité de vie et sur le pays qui est très «entrepreneur friendly». Je décide de pousser l’investigation et je me rends sur place en novembre 2014 pour y passer quelques jours, prendre le pouls de la vie locale et récolter un maximum d’informations.
Mon séjour est fructueux, l’île Maurice est superbe avec des paysages magnifiques, la mer et le lagon sont sublimes, et le pays est en plein développement économique et semble effectivement faciliter l’implantation d’entreprises comme Playtouch. Le français et l’anglais sont les deux langues officielles (en plus du créole qui est parlé par les locaux), ce qui facilitera d’autant plus l’intégration des employés français si nous venons. Il y a de très bonnes écoles françaises, et le pays est calme avec peu de problème de sécurité.
Première fois à Maurice
Je reviens en France avec une très bonne impression que je partage à Ariane. Nous nous décidons assez rapidement pour tenter cette nouvelle aventure exotique très excitante tout en imaginant que l’île Maurice sera également un cadre de vie très agréable pour nos 3 garçons de 2, 7 et 9 ans.
Ok, bon tout cela est super sur le papier, mais il va falloir maintenant convaincre l’équipe de me suivre à 12.000km… tout dépend d’eux.
Mi-décembre 2014, j’organise une réunion de présentation avec toute l’équipe. L’objectif est de leur expliquer précisément et de manière tout à fait transparente comment fonctionne Playtouch aujourd’hui (je partage mon salaire, le chiffre d’affaires de l’entreprise, nos coûts, nos clients…) et quelle est la vision stratégique pour la suite. Je leur explique la nécessité de changer le statut de nos freelances en France et donc ma volonté de créer une filiale à l’étranger. Je commence par leur présenter des pays dans lesquels je n’avais de toute façon pas prévu d’aller comme les Etats-Unis, la Russie ou la Chine, avec des portraits très peu flatteurs (sur ce point ma présentation n’est pas du tout objective mais c’est pour mieux servir mes dessins diaboliques pour la suite). Je termine en présentant l’option que j’ai choisie : l’île Maurice, des photos magnifiques, des infrastructures en plein développement, des plages, de la nourriture (pour Bruno…), la culture, la musique…
L’équipe est au top, le sourire sur le visage, ils hallucinent carrément !!! « Quoi ? On va s’installer là-bas ? Wow, mais c’est génial !!! On part quand ? ». Je suis surpris de cet enthousiasme spontané de l’équipe, et même si le pari n’est pas encore gagné, c’est déjà bon signe. Nous partons tous fêter cela au restaurant Indien du coin de la rue (Beaucoup de mauriciens sont d’origine indienne…).
2015
Août 2015, c’est le grand départ pour l’île Maurice. Cela fait 6 mois que je suis à fonds sur l’organisation de notre installation: création de la filiale mauricienne, ouverture de comptes en banque, visas, inscription à l’école… Playtouch tourne plutôt bien. Notre partenariat avec Gameloft se maintient bien, et nous venons de signer un contrat pour développer 5 jeux pour Disney. Ce n’est pas vraiment dans notre business modèle de développer pour le compte d’autrui, car je trouve que ce n’est pas forcément là que nous allons créer le plus de valeur pour Playtouch, mais c’est quand même « Nice to have» dans notre catalogue de partenaires…
Sur les 8 freelances que nous avons, 6 décident de poursuivre l’aventure de Playtouch à Maurice. La situation personnelle des 2 derniers ne leur permet malheureusement pas. Je suis ravi de tant de fidélité de l’équipe car c’est une preuve supplémentaire de la bonne ambiance de ce groupe et j’en suis super fier. Fier mais avec aussi une pression supplémentaire sur les épaules car je me sens désormais encore plus responsable de leur bien être dans leur nouvelle vie à l’étranger. Nous devenons presque une petite famille.
Je m’attendais à beaucoup de galères, administratives, logistiques, d’ordre privé, et finalement l’arrivée de l’ensemble des équipes et des conjoints à Maurice se passe vraiment bien. Bien sûr nous avons plein d’histoires cocasses et amusantes au quotidien mais très franchement tout se passe à merveille. Je pense que c’est à la fois le résultat de beaucoup de préparation (quand je compare à d’autres sociétés ou d’autres expatriés qui s’installent à Maurice, je me rends compte que nous avons vraiment bien fait nos devoirs) et c’est aussi le fruit d’une grande solidarité de l’équipe au quotidien.
Nous trouvons tous un logement rapidement dans le nord de l’île et les célibataires décident de se regrouper et de se prendre une colocation à 4. Pour le même budget qu’à Paris, nous trouvons des locations de maisons avec piscine, proche de la mer… c’est le paradis !
Le plus difficile est finalement de trouver un bureau qui nous convienne. De septembre à Novembre, nous travaillons chez moi. Heureusement la maison est assez grande pour que nous tenions tous les 7 dans le salon. C’est quand même un peu le bazar avec mes 3 jeunes fils et les enfants des voisins qui jouent et sautent dans la piscine pendant que nous développons nos jeux. Mais c’est amusant et cela fait partie du folklore de notre arrivée et de notre installation.
Nous ne finissons pas trouver notre bureau à Grand Baie, un petit open space de 80m2 , à 2 pas de la mer, parfaitement situé pour faire une pause et se dégourdir les jambes en admirant l’incroyable lagon.
Promenade autour du bureau de Playtouch
Nous recrutons rapidement nos premiers employés mauriciens, toujours avec le même process qu’en France. Leur bagage technique est sensiblement inférieur à des ressources françaises par exemple, mais nous sommes prêts à prendre le temps de former les petits nouveaux comme nous l’avons fait en France. Nous allons faire grossir l’équipe jusqu’à une quinzaine de personnes les mois suivants. Nous développons un peu moins de jeux qu’auparavant pour 2 raisons : notre équipe est moins qualifiée avec les nouvelles ressources, et dans le même temps nous essayons aussi d’améliorer la qualité moyenne de nos jeux ce qui rallonge les temps de production.
2016
En 2016, le chiffre d’affaire de Playtouch est assez stable. Notre partenariat avec Gameloft qui représentait une grosse partie de notre activité baisse car Gameloft commence à développer ses propres jeux Html5 qui viennent remplacer ceux de Playtouch dans leur catalogue. Dans le même temps nous signons plusieurs nouveaux partenariats entre 1000€ et 2000€ par mois, ce n’est toujours pas grand-chose mais encore une fois on lisse le risque.
2017
Début 2017, nous commençons à voir quelques jeux Playtouch qui sortent du lot sur les app stores et notamment sur Google Play. Notre jeu Stickman Fighter Epic Battle, connaît un certain succès sur différentes plateformes. Certes ce jeu ne monétise pas très bien mais les volumes sont impressionnants car nous ne faisons aucun marketing. Tout est en trafic naturel et ce jeu génère près de 300.000 téléchargements par mois sur Google Play au premier semestre 2017.
Stickman Fighter : Epic Battle
En Mai 2017, l’ensemble de nos jeux génère 1,1M de téléchargements Google Play et Google devient alors notre première source de revenus.
D’autre part, nos revenus avec Gameloft baissent sensiblement au fil des mois mais heureusement cette baisse est compensée par notre progression chez Google.
Playtouch est à l’équilibre.
2018
Juin 2018, c’est la catastrophe !
Google Play modifie les algorithmes de recherche sur son appstore et la visibilité de nos jeux chute aussitôt… C’est très embêtant car nous ne pouvons absolument rien faire. Je connais de nombreux éditeurs dans le même cas que nous. Certains sont tellement impactés qu’ils doivent immédiatement réduire leur staff voire carrément fermer la société.
Les revenus de Playtouch avec Google baissent subitement de 80%. Aie ! Nous avons encore un peu de cash en banque mais nous perdons de l’argent chaque mois. Il faut réagir rapidement car dans 6/8 mois, à ce rythme, nous serons à court de trésorerie. Décidément, c’est vraiment les montagnes russes la vie d’entrepreneur dans le jeu vidéo.
Encore une fois, je me dis que notre porte de salut est le html5 qui nous permet d’envisager plusieurs options pour faire évoluer notre business.
Le constat est assez simple : Une grande partie de notre business actuel repose sur de gros volume de joueurs qui arrivent sur nos jeux, mais comme me le confirme un cadre chez Google, il ne faut plus s’attendre à avoir de gros volume de trafic « gratuitement » à l’avenir.
Si nous ne pouvons plus avoir de gros volumes avec Gameloft et Google pour afficher des tonnes de publicité, alors il faut que nos jeux monétisent assez bien pour que nous puissions nous même faire des campagnes de publicité pour acquérir des utilisateurs.
Cela sous-entend donc de faire des jeux de meilleur qualité en continuant à monétiser avec de la publicité mais aussi désormais avec des achats intégrés.
Nous décidons donc de revenir aux fondamentaux (« back to basics »), faire des bons jeux « ever green », simples, sympas à jouer, moins originaux mais ciblant une large audience de joueurs. Solitaire, Mahjong, Sudoku, jeux de plateaux, jeux de lettre… on repart presque à 0 mais avec la volonté d’améliorer très fortement la qualité moyenne de nos jeux.
En parallèle je me démène pour signer de nouveaux partenariats de distribution et essayer de développer le business avec nos partenaires actuels. Je multiplie les rencontres et les salons mais je sais que tout cela risque de prendre du temps si ça débouche.
En septembre 2018, j’informe les actionnaires que la situation est très tendue. Aucun d’entre eux ne se plaint, ils continuent à nous faire confiance, posent des questions pour comprendre et demandent de quelle manière ils peuvent nous aider. Quelle chance nous avons de les avoir et je me dis que l’histoire serait sûrement bien différente et plus tendue si nous avions des VC ou des business angels à notre capital. C’est d’ailleurs un sujet dont j’avais discuté avec Kristian Segestrale à San Francisco (Kristian est probablement le plus brillant entrepreneur dans le jeu vidéo que je connaisse ; je bois ses paroles comme du bon vin): «Franchement si tu n’es pas obligé de lever de l’argent, ne le fait pas car c’est souvent beaucoup de pression supplémentaire qui peut parfois conduire à faire de mauvais choix, notamment dans notre industrie qui est quand même très complexe. Tout dépend de ce que tu recherches mais si ton business tourne, que tu développes Playtouch sereinement tout en prenant du plaisir, et que tu peux continuer à faire du Kite Surf à Maurice, c’est plutôt pas mal non ? ».
Certes nous sommes « short » en trésorerie mais Kristian avait tellement raison car le temps que je gagne actuellement à ne pas justifier tout un tas de choix aux actionnaires me permet de me concentrer à 100% sur du business développement.
Et mon investissement va finir par payer fin 2018. Les différentes pistes lancées en juillet commencent à porter leurs fruits. Les nouveaux partenaires compensent désormais les chutes de Google et Gameloft. Nos nouveaux jeux sont aussi beaucoup plus performants, aussi bien sur les appstores (Google et Apple) que chez la plupart de nos partenaires de distribution indépendants. Tout est allé plus vite que je ne l’avais espéré. C’est intéressant car pour la première fois depuis la création de Playtouch nous arrivons à être à l’équilibre sans être dépendant d’un « gros » partenaire en particulier. Tout s’annonce bien !
2019
Tout s’annonce bien si c’est n’est que nous sommes à court de cash en février 2019. En effet, si nous sommes de nouveau à l’équilibre, les délais d’encaissement de nos partenaires nous mettent dans le rouge. Heureusement, encore une fois, je peux compter sur le soutien de l’un de nos actionnaires qui nous prête 1 mois de trésorerie, juste de quoi faire le pont avec les futurs encaissements. En Q1 et Q2 2019, notre chiffre d’affaire progresse désormais tous les mois mais je continue à faire extrêmement attention à nos dépenses. Nous sommes passés encore une fois tellement près du précipice…
2019 est une très bonne année : notre business se développe avec la plupart de nos partenaires, la qualité de nos jeux ne cesse de s’améliorer, et notre trésorerie se consolide.
Pour ma part, je souffle un peu car je sens enfin que nous avons désormais un business bien plus stable, et ça fait du bien au moral !
Côté personnel, avec ma famille nous avons déménagé 2 ans auparavant, et nous nous sommes rapprochés de la mer. Depuis je vais au bureau en Stand Up Paddle, et ça aussi ça fait du bien au moral… Tous les matins quasiment, je prends mon sac à dos étanche avec mes affaires et mon PC portable dedans, ma planche de paddle et ma pagaie, je marche 4 minutes pour arriver à la plage et je rame environ 25 minutes pour arriver au ponton près du bureau. C’est juste un plaisir incroyable de traverser ce lagon le matin et refaire ce trajet le soir au soleil couchant. Quel kiffe ! Sans aucun doute mon plus gros milestone chez Playtouch depuis la création (lol) !!!!
Le métro de Stephane
2020
Si 2020 n’est pas encore terminé, cette année sera quoiqu’il arrive une excellente année pour Playtouch (malgré le covid).
Les jeux Playtouch performent de plus en plus, partout, chez tous nos partenaires, et cela nous permet d’avoir maintenant plus d’1 an de trésorerie en banque.
Nous avons plein d’idées en tête et je suis hyper confiant pour l’avenir car nous maitrisons très bien notre sujet du html5, même si nous restons modestes et pragmatiques. Il est en effet hors de question de s’enflammer.
Nous commençons par exemple désormais à investir dans de nouveaux projets plus ambitieux techniquement comme des jeux multi-joueurs en temps réel ou des jeux narratifs. C’est Charles notamment, notre « lead developer », qui s’en occupe. Il avait commencé comme stagiaire il y a 6 ans, et depuis, on peut dire qu’il aura également bien fait progresser Playtouch notamment avec sa fameuse CFM (« Charles Fucking Machine ») qui nous permet de générer automatiquement les fichiers des jeux pour chaque partenaire de distribution. Quand on a plus de 300 jeux, et des dizaines de canaux de distribution à livrer, je peux vous dire que l’on apprécie à sa juste valeur « l’automatisation » de ces fichiers et donc la SHELL de Tibo et la CFM de Charles.
En 2020 et 2021, nous allons aussi bien sûr continuer à développer notre catalogue de jeux casual (nos « ever green « ).
Fin… ou juste un début en réalité!
10 ans après donc, nous ne sommes plus que 12 dans l’équipe: 5 français et 7 mauriciens. Si l’équipe ne s’est pas agrandie les 2 dernières années, ce n’est pas le cas des familles des uns et des autres. On compte en effet 6 naissances sur les 3 dernières années. A noter que tous les français présents à Maurice ont eu un enfant (sauf moi, mais j’en avais déjà 3…). Quoiqu’il advienne de Playtouch, cela restera comme l’une des plus belles réussites de notre installation à Maurice.
Une des très belles réussites c’est également les progrès incroyables réalisés par les employés mauriciens chez Playtouch. Ils sont arrivés avec un bagage technique vraiment léger, mais étaient pleins de bonne volonté et avec cette fameuse « attitude » positive qui nous est si cher, ils ont progressé au fil du temps. Je suis hyper fier d’eux et des jeux qu’ils sont aujourd’hui capables de réaliser. C’est vraiment impressionnant !
Quelle équipe !
L’équipe Playtouch à Maurice
10 ans déjà… Je n’aurais jamais imaginé un tel parcours car ce n’était effectivement pas du tout ce qui était écrit dans la feuille de route au départ. On ne peut pas dire que nous ayons fait des choix simples mais c’est ce qui a rendu notre chemin si original. J’ai tellement de bons souvenirs, quelques moins bons bien sûr, mais je chérie tout particulièrement les rencontres et les échanges avec toutes les personnes qui ont participé à l’aventure de Playtouch : nos familles, les amis, les investisseurs, les professionnels de l’industrie, mais aussi et surtout les employés et stagiaires de Playtouch que je n’oublierais jamais.
5 novembre 2020, à l’instar des arbres Flamboyants à Maurice, Playtouch commence à fleurir magnifiquement, et je suis impatient de connaître l’histoire pour les 10 prochaines années …
Stéphane
Un flamboyant à Maurice